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Premier constat : la frontière entre vivant et artificiel se brouille. Invités à plancher sur des scénarios imaginant ce qui pourrait advenir dans un siècle avec les développements de la biologie de synthèse, les participants à un “atelier citoyens” organisé récemment par l'association Vivagora ont pu le mesurer. ( © AFP Patrick Pleul) PARIS (AFP) - Peut-on créer du “vivant artificiel” ? A-t-on le droit de “construire du vivant” ? Les techniques d'ingénierie génétique utilisées par les pionniers de la biologie de synthèse, qui transforment des bactéries en usines vivantes, soulèvent des questions éthiques. Des bactéries, dont l'ADN a été largement modifié, peuvent détecter d'infimes traces d'arsenic dans l'eau des puits au Bangladesh ou fabriquer un médicament contre le paludisme. De nombreux projets tablent aussi sur des techniques sophistiquées de manipulation du vivant pour produire de nouveaux biocarburants.
Premier constat : la frontière entre vivant et artificiel se brouille. Invités à plancher sur des scénarios imaginant ce qui pourrait advenir dans un siècle avec les développements de la biologie de synthèse, les participants à un “atelier citoyens” organisé récemment par l'association Vivagora ont pu le mesurer.
“Qu'est-ce que l'artificiel, si on utilise les mêmes mécanismes que ceux qui sont dans la nature? ”, a résumé l'un deux lors d'un colloque ce week-end. “L'artificiel d'une génération devient souvent le naturel de la suivante, c'est particulièrement vrai pour les produits de l'agriculture”, relève Bernard Baertschi, philosophe, rappelant que les céréales actuelles sont le produit de croisements et d'une intense sélection faite par l'homme. Et des mutations génétiques provoquées par l'homme ont donné des agrumes sans pépin.
Citant une phrase de Rousseau - “tout dégénère entre les mains de l'homme”-, M. Baertschi évoque “l'idée fréquente que la nature fait bien et nous pas”. Pourtant, ajoute-t-il, à partir du 17e siècle, avec Galilée ou Descartes, s'est forgée la conception que les modifications introduites par l'homme et la nature “sont de même type”. Responsabilité “On avait une évolution darwinienne, l'homme est capable de le faire beaucoup plus rapidement, laisse-t-on faire?”, interroge-t-il. Pour lui, “est artificiel ce sur quoi nous avons pouvoir” et nous en sommes responsables.
Voyant dans la biologie synthétique, la possibilité de “programmer le vivant comme on programmerait des ordinateurs”, le bioinformaticien Franck Delaplace estime que “ce qui cristallise les peurs”, c'est “ce que fera l'économie de cette chose-là”. “Est-ce que l'Afrique en bénéficiera?”, s'inquiète ce chercheur de l'université d'Evry (Essonne). Alors que la biologie synthétique fait rêver les créateurs de start up, devrons-nous “payer pour vivre” si le vivant fait l'objet d'un intense brevetage?
D'autres amateurs du bricolage du vivant se font les avocats d'un modèle “open source”, comme les logiciels libres. Non seulement les kits de programmation biologique doivent être “libres d'utilisation”, mais “le produit développé doit aussi être remis en commun gratuitement”, explique Thomas Landrain, créateur du laboratoire amateur “La paillasse”. Il s'interroge cependant sur l'opportunité de “mettre des garde-fous sur un objet mal identifié, la biologie synthétique”.
Les chercheurs semblent hésiter : tantôt ils affirment n'être qu'au stade de la recherche fondamentale et vouloir mieux comprendre le vivant, tantôt ils vantent les bénéfices attendus pour la santé ou l'environnement, avec notamment des bactéries dévoreuses de pollution. “Le label environnemental marche très bien. Ca fait partie du discours prometteur”, note la sociologue Sarah Aguiton, qui estime qu'il faut débattre à la fois des “promesses” et des “problèmes” que cette nouvelle discipline peut générer.
© 2012 AFP